portrait de femmes

être mère au delà des mers

le récit de Mathilde

Textes & photographies Caroline Fernandez
25 août 2010. Les premiers mots choisis par Mathilde pour partager son histoire sont cette date. 13 ans plus tard, elle peut encore décrire avec précision ce qui a bouleversé sa vie ce jour là. Sur le tapis du salon, confortablement installée une tasse de thé à la main, Mathilde livre ses mots avec une infinie douceur, une assurance et une sagesse qui touchent et interpellent. 

Je sens déjà que cette histoire qui est pourtant loin de la mienne viendra questionner profondément mes représentations et enrichir ma quête de compréhension de ce qu’est la résilience.

Nous sommes donc le 25 août 2010 et Mathilde se prépare à partir pour l’aéroport de Genève afin de récupérer F. et Z., ses deux petites filles parties en vacances avec leur papa dans son pays d’origine, l’Algérie. Quand le téléphone sonne Mathilde est loin d’imaginer que les mots qu’elle va entendre vont bouleverser sa vie : « Ce n’est pas la peine que tu viennes à l’aéroport, nous n’y serons pas ».
Mathilde et son ex-mari sont séparés depuis 2006 et divorcés depuis 2009. Mathilde a refait sa vie avec Ahmed et durant les 3 dernières années les choses se sont passées sans difficultés particulières entre les deux parents. Mathilde avait établi un lien de confiance avec son ex mari, un papa investi dans la vie et l’éducation de leurs filles.

Alors ce 25 août 2010 c’est le choc et l’incompréhension. Elle mettra près d’un mois pour comprendre l’inextricabilité de la situation.

L’histoire est tragique et incompréhensible pour la plupart d’entre nous. Comment peut-on arracher ses enfants à une mère ? Comment peut-on priver des enfants de la présence de leur mère ? Comment peut-on vivre loin de ses enfants ? Comment une telle situation peut elle advenir et ne pas trouver d’issue juridique ? Comment est-ce possible ??

Les questions se bousculent. Mon esprit se débat comme il peut dans la projection inconcevable d’une situation qui me semble irréelle et révoltante, à l’instar de Mathilde qui passera la première année sans ses filles totalement dévastée.

Mais nous sommes là Mathilde et moi, dans l’espace douillet et chaleureux d’un foyer qui ne me semble pas en souffrance. La voix de Mathilde est toujours aussi douce et posée. Je commence à comprendre que le chemin vers la paix aura été long et douloureux mais que Mathilde y est parvenue. Bien sûr qu’elle s’est battue. Après le choc, il y a eu le déni, la colère, une lutte acharnée pour tenter l’impossible. De services sociaux en avocats, du Consulat à l’Ambassade, un voyage en Algérie accompagnée de son frère, Mathilde aura tout essayé. En vain. C’est là qu’a commencé le véritable chemin, celui de l’acceptation, de l’empathie et de la reconstruction.

Au fil de notre échange j’entrevois des réponses qui m’obligent à me questionner profondément sur ma vision des choses en tant que femme, mère et Européenne. Notre échange crée simultanément de nouveaux chemins de compréhension, mon esprit accepte d’envisager d’autres perspectives. Je perçois même en moi une forme de soulagement de la colère projective que j’éprouvais à l’écoute de l’histoire de Mathilde.
Elle me raconte qu’elle a trouvé l’apaisement dans la compréhension et l’empathie pour le père de ses filles, mais surtout pour elle-même. Il était essentiel de réapprendre à respirer pour ne pas sombrer, se tourner vers ce qu’elle avait encore pour mieux accepter ce qu’elle n’avait plus. Mathilde a refait sa vie avec Ahmed après sa séparation et de leur union est né un petit garçon en 2009, I., juste avant la tempête. Ils seront sa force. I., une autre petite fille viendra agrandir la famille en 2012.

Durant tout ce temps, le lien avec ses filles restées en Algérie n’est pas coupé. Mathilde ne peut pas les voir mais peut leur parler très régulièrement. Leur père veut que ses filles grandissent en Algérie mais il sait que le lien avec leur mère est important pour toutes les trois, et fait en sorte que Mathilde soit en contact avec elles le plus souvent possible. Au prix d’efforts inimaginables, Mathilde décide de nourrir ce lien de confiance et de construire à partir de celui-ci plutôt que de mener une lutte acharnée et incessante qui aurait risqué de détruire le peu qu’il lui restait de ses enfants.

Petit à petit, le dialogue est renoué et Mathilde parvient à voir F. et Z., en Algérie d’abord, puis en Suisse où elles viennent passer les vacances, à tour de rôle. Son ex mari craignant que Mathilde ne les lui renvoie pas à son tour, elle ne les aura jamais en même temps jusqu’à ce qu’elles aient 18 ans.

C’est dans ce contexte si particulier que Mathilde devra exercer son rôle de mère auprès de ses filles durant des années. Elle me partage les challenges qu’elle a dû relever, les questionnements qu’elle a traversé, les doutes, les difficultés, les moments de peine mais aussi de joie et de bonheur. Ceux d’une mère comme tant d’autres.

Au fil de son récit, une idée me vient. Notre rôle de mère, comme celui de femme, est étroitement lié à la culture et à la société auxquelles nous appartenons. Dans la nôtre, il est admis que la mère a une place centrale dans la vie de ses enfants, parfois au détriment du père. En Suisse par exemple, l’enfant né hors mariage portera d’office le nom de sa mère et aura celui de son père uniquement s’il est déclaré comme tel. En France, durant des décennies, la garde des enfants était automatiquement octroyée à la mère en cas de séparation. On attend implicitement de la mère qu’elle nourrisse, soigne et se rende disponible pour ses enfants quoi qu’il arrive.
Statistiquement ce sont encore les femmes qui prennent en majorité un congé parental ou réduisent leur temps de travail lors de l’arrivée d’un enfant…

Mathilde, elle, n’a pas eu le choix. En lui enlevant ses filles, son ex mari, leur père, lui a imposé de nouvelles règles. Se sont toutes ses représentations qu’elle a été obligée de revoir, elle a dû se défaire de ses ancrages sociaux et de ses croyances culturelles pour mieux comprendre celles de son ex mari et réinventer sa place et son rôle de mère dans ce contexte inhabituel. Elle a dû apprendre à materner malgré l’absence de liens physiques.

Aujourd’hui, les filles ont grandi. Comme leur père l’a toujours promis elles pourront venir faire leurs études en Suisse si elles le souhaitent. Désormais elles viennent ensemble passer du temps chez leur mère et retrouver I., I. et Ahmed. La famille est apaisée. Mathilde a su trouver sa place et nourrir un lien d’amour et de confiance maternelle dans un quotidien réinventé. Elle a su être une mère pour ses filles, se construire une vie de femme en dehors des représentations et des injonctions imposées par notre société. Elle a choisi de comprendre pour mieux avancer.

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